Responsive image

TRO BREIZ
FLORIAN LE ROY
1950

CHAPITRE VII
DE VANNES À QUIMPER


Journaliste et écrivain, Florian Le Roy (1901-1959) a publié de nombreux ouvrages sur la Bretagne. En 1950, il a publié Tro Breiz, le Pèlerinage aux Sept Saints de Bretagne. En s'appuyant sur les travaux Julien Trévédy et Louis Le Guennec, Florian Le Roy a été le premier à proposer un véritable itinéraire du Tro Breiz. Nous publions ci-dessous un extrait. L'itinéraire historique proposé passe par Vannes, Sainte-Anne d'Auray, Hennebont, Pont-Scorff, Quimperlé, Le Trévoux, chapelle Saint-Maurice du Moustoir en Rosporden, chapelle de la Trinité en Melgven, chapelle de Locmaria-an-Hent en Saint-Yvi, Quimper. On peut ajouter que de Vannes à Hennebont, les comptes rendus du procès de canonisation de saint Yves suggèrent un passage plus au sud par Erdeven, peut-être par la chapelle des Sept-Saints.

Chaque jeudi-saint, les jeunes filles en quête d'un époux font la route, de Vannes à Béléan, sans rire et sans parler, pour jeter des aiguilles dans la fontaine voisine de la chapelle.

Un peu plus loin dans une prairie qui borde la route, les paysans font boire leurs vaches à une autre source dont l'eau passe pour accroître leurs capacités de bonnes laitières.

Les pinèdes alignées à perte de vue sur des étendues sablonneuses. font penser à des paysages finlandais. On ne peut oublier que le faible relief du sol se maint.ient, partout, au niveau de cette mer intérieure qu'est le golfe du Morbihan où floti. ent des îles heureuses et qui pénètre si captieusement dans les campagnes que mer et terre n'ont plus de limites précises. Loin dans les villages, les petits golfes qui ont gardé leur nom celtique et si évocateur de loch font briller leurs coulées de vases.

De place en place, règne la lande plantée de ces mégalithes qui font du Morbihan le domaine hallucinant de la préhistoire, sur des plateaux où la moindre taupinaie s'appelle la montagne, mané, et, à cause de la rosée ou de la flore économe, les ruraux, qui sont des poètes, ont ajouté presque partout l'épithète gwen. La montagne blanche, comme s'ils gardaient la nostalgie héréditaire des sommets neigeux qu'au pays de Galles domine le Snowdon.

Mais cette terre sombre, limitée par des murets de pierre sèche, regorge des débris d'une humanité en perpétuelle migration et qui trouvait là sa suprême escale, face aux îlots où des bateaux fantômes ·embarquaient les morts pour les mener vers la terre de l'Éternelle Jeunesse.

Le Morbihan reste un monde hanté, surchargé qu'il est de ces pierres monumentales, qui font rêver encore les savants. Elles peuplent les landes, à l'infini, de leurs processions fantômales, entre des allées symétriquement tracées, et à l'orientation judicieuse.

Après le village de Lezoïreh, le ruisseau de Sal rafraîchit un délicieux vallon qui se relève en côte raide jusqu'au manoir de Coëtsal, près de quoi quelques mégalithes montent la garde. Dans l'un d'eux, creusé comme une auge, on vient se rouler pour guérir les coliques et le lumbago. C'est à Coëtsal qu'est née la comtesse de Martel, la Gyp dont la verve égayait nos grands-mères.

C'est dans d'énormes blocs de rochers que l'on a ménagé la place du village de Mériadec dont, avec son petit clocher d'ardoises, la chapelle est dans un triste état de délabrement et, en prenant la route de Sainte-Anne, on découvre, dans le talus d'un fossé, une borne milliaire que l'on a christianisée. Mériadec était à cheval sur les deux paroisses de Pluneret et de Plumergat.

Vous ne manquerez pas bientôt de rencontrer quelque vieillard du pays de Vannes, tout sec, un peu dégingandé, avec sa courte veste au col droit et son chapeau de forme ecclésiasiique, mais dont les longs rubansJui pendent jusqu'aux reins. Vous vous croyez, nous nous croyons obligés de marcher du pas que tous ceux qui ont lu Péguy et vont vers des pèlerinages, veulent militaire. Le bonhomme, lui, s'en va tout à la douce. On dirait nième qu'il muse sur l'accotement. Eh! bien, ce laboureur morbihannais, cet arrière-petit-fils de chouan, trôleur de landes et de chemins creux, vous ne pourrez jamais le dépasser! Qu'on vienne encore, après cela, parler de la lenteur du paysan, de sa lourdeur, de son apathie! Une force mystérieuse porte ce fiânocheur qui, sans effort, trotte vers son but.

Et quel but! La statue gigantesque de la grand-mère de l'Enfant Jésus, de la mère de la vierge Marie, du parangon de toutes ces mères que font tant souffrir les guerres, la statue que porte comme une fleur prodigieuse le clocher de la basilique de Sainte-Anne-d'Auray.

Sainte Anne est l'objet d'un culte tout particulier et particuJièrement glorieux au pays de Vannes, mais il ne faut pas oublier que les Bretons, depuis les temps les plus lointains de leur histoire, l'ont choisie pour patronne. Ne vont-ils pas jusqu'à prétendre qu'elle appartenait à un de leurs clans échoués sur les côtes occidentales? A Treffentec, au fond de la baie de Douarnenez, on vous montrera le lieu où vivait la bonne grand-mère sainte Anne qu'on honore à la Palud.

Son lieu de prédilection, cependant, elle l'a fixé dans ce Vannetais des étangs et des bois de pins, le Vannetais blanc et noir comme ses habitants et ses troupeaux.

Là où la vieille voie romaine d'Hennebont à Vannes coupait, à angle droit, le chemin d'Auray à Josselin, six fermes, Kerloguen, Porh-er-Gluyar, Kerlivio-Penhar, Kerservan, Kervengu et Boterf, formaient un village, Ker-Anna, simple écart de l'immense paroisse de Pluneret. Le lieu portait déjà le vocable de sainte Anne, et, dans le champ de Bocenno, des pierres qui ébréchaient le soc de l'araire, attestaient qu'une chapelle s'était élevée là, jadis.

Il fallut qu'à l'été de 1625, un laboureur du coin, Nicolazic, découvrît enfin, parmi les ronces et les pierres, la statue que les ancêtres avaient honorée, au Bocenno.

Depuis près de deux ans, la sainte se manifestait à l'humble Nicolazic, illuminant en même temps que son âme la pièce où il dormait, les chemins qu'il suivait. La mère des mères, vêtue de blanc, un cierge à la main, arrêtait la marche dandinée des boeufs et s'asseyait m'ajestueusement à la fontaine. Elle venait même chercher Nicolazic à son foyèr, et dans sa grange. Le 25 juillet 1624, comme le paysan accablé par des prodiges dont il ne sait que penser se signe en passant devant la croix qui a gardé son nom, sainte Anne l'interpelle. Elle le guide dans le chemin creux qui conduit à Ker-Anna, le quitte sur son seuil, mais revient, à la nuit close, dans la grange où il s'est retiré pour prolonger son extase. Et sa présence est entourée, cette fois, d'une immense rumeur de cheminement, des pas innombrables d'une foule en marche. Et sur la campagne où resplendit la lune d'été, elle proclame enfin son message. Elle demande que soit rebâtie la chapelle qui s'élevait au -Bocenno neuf cent vingt-cinq ans plus tôt, la première que des Bretons eussent construite en son honneur.

Sainte-Anne-d'Auray est maintenant une véritable ville religieuse, poussée autour de la basilique, avec ses hôtels, ses maisons de commerce, ses boutiques d'objets de piété, car hélas! il n'y a pas de temple sans marchands. Le domaine pastoral, perdu entre les seigles et les marécages, est devenu un des grands lieux de la chrétienté, et, chaque 26 juillet, par les quatre routes qui, aux quatre' coins de Ker-Anna, s'ouvrent comme autant d'avenues triomphales, des flots humains convergent vers la tour de granit et la statue dorée qui jaillissent du sol, avec les chants à l'accent si doux du pays de Vannes. Le pays plat laisse la lande, dans le soleil de juillet, céder aux prairies qui entourent la cité de prières. Ker-Anna n'a pas changé de figure, dans les siècles. Elle garde sa grandiose solitude entre les levées de terre, les murets, les talus, les buissons, et les chemins qui deviennent des routes, puis des rues, bordées de maisons à la bretonne, ravivées de chaux, ourlées de granit apparent. La Comoua'il l reconstituer le panorama ethnique delaBretagne, entre la Scala Sancta dont l'on gravit à genoux les degrés, la basilique et la fontaine miraculeuse.

Les siècles ont passé, avec leur écume sanglante, sur cette terre bénite. La Chartreuse d'Auray, si proche, rappelle les luttes fratricides de la guerre de Succession et de la Révolution française, qui réduisit en cendres l'image découverte par Nicolazic.

Ce couvent de la Chartreuse avait été fondé en mémoire ou en expiation du carnage qui, dans les genêts d'un plateau dominant le Loch, opposa deux armées dans la même clameur, dans le même cri de guerre: « Malo au riche duc », et des frères de race, des compagnons de gloire comme du Guesclin et Clisson. Sanglante dérision des guerres civiles. Montfort pleurant sur Blois saigneux dans son cilice. La batajile d'Auray, qui en clôtura le deuxième acte, fut un des épisodes les plus tragiques de la guerre de Succession.

En I795, les royalistes que Hoche avait cueillis comme au nid dans le cul-de-sac de Quiberon étaient conduits, par paquets quotidiens, dans la prairie qui borde le marais, et pendant trois semaines, fusillés deux à deux, le dos au peloton d'exécution, furent empilés dans des fosses. Leurs ossements entél.ssés emplissent le mausolée du champ des Martyrs.

A Sainte-Anne, on a vu les gars d'Arzon, avec leur bateau ex-voto, rappeler les fastes de nos marins, de Duquesne aux escadres modernes. A toutes les époques périlleuses, les femmes sont venues demander à la Mère, à la plus douloureuse des mères, la force de supporter les épreuves de l'absence et de l'inconnu. Devant l'image sainte, dans l'angle d'un transept, les bancs de bois s'alignent, par rangées, avec des haies de cierges brasillants, mais près de la Fontaine, au fond d'une prairie, contre le parc planté par les Carmes, auxquels fut confiée d'abord la garde du sanctuaire, un cénotaphe, avec ses autels marqués chacun du nom d'un diocèse de Bretagne, éternise le souvenir des Bretons qui, dans les guerres récentes, ont fait le sacrifice de leur vie pour le culte de la nation française.

Des landes, la lande, l'horizon vide; l'étang du Granic et sa chaussée; le fond de la rivière d'Étel, en lagune qui fait tache d'encre, à hauteur de Landévant; au-delà de Branderion, le dolmen des TroisPierres, avec sa chambre circulaire, et nous arrivons à Hennebont.

Hennebont est double, non seulement parce qu'elle occupe les deux pentes d'une vallée, mais parce qu'au quartier Saint-Caradec, épandu sur la rive droite du Blavet, s'oppose la Ville-Close, à laquelle on accède par la porte du Bro-Erec'h, entre deux tours à mâchicoulis. Dans ses fragments de remparts, la vieille cité, fondée au XIIIe siècle, contient les quartiers montueux où Jeanne la Flamme justifia le jugement de Froissart : « Courage d'homme et coeur de lion. »

Pendant la guerre de Succession, elles étaient deux Jeanne face à face : Jeanne de Penthièvre, dont Charles de Blois était le prince consort, et Jeanne de Flandre, l'épouse de Jean de Montfort, frère puîné et consanguin de Jean III, mais les dispositions testamentaires de celui-ci avantageaient, par droit de représentation, sa nièce, Jeanne de Penthièvre.

Fait prisonnier à Nantes, emmené à Paris, enfermé dans une des tours du Louvre, Jean de Montfort s'échappa et gagna l'Angleterre pour demander de nouveaux secours à son allié, Edouard III. L'année suivante, il mourait à Hennebont, la place forte que le duc Jean 1er le Roux avait aménagée sur la rive droite du fleuve, et dont l'ancienne motte féodale domine toujours Saint-Caradec.

Quand Jean de Montfort eut rendu le dernier soupir, sa veuve présenta aux seigneurs bretons l'enfant qui devait devenir Jean IV le Conqueror et les conjura de lui prêter le serment de fidélité comme à leur souverain légitime.

Accompagné des armées françaises, Charles de Blois vint investir Hennebont, à nouveau. Jeanne de Flandre, portant allégrement une armure d'homme et chevauchant un destrier blanc, prit elle-même la tête de ses partisans. Pour avoir bouté le feu aux tentes des assiégeants, elle devait mériter le sobriquet magnifique de Jeanne la Flamme.

C'est en dehors de l'enceinte féodale qu'au XVIe siècle, sur une place déclive, où, les jours de marché, parmi les sabots et les roues de brouettes façonnées dans les pinèdes voisines, caquettent les femmes en grand capot à pois, fut édifiée Notre-Dame du Paradis.

L'architecture religieuse, en Bretagne, si abondante, si prodigue, n'atteste pas. comme ailleurs, la fastuosité d'une aristocratie. C'est le peuple qui, dans un grand élan de foi, dans une communion de sacrifices, fait du luxe pour loger Dieu et ses saints. Et le peuple des campagnes, surtout, dont un saint orgueil gonflait la poitrine, quand, de ses pourpris emboués, il contemplait l'arche de pierre sculptée qu'il avait lancée sur la houle des solitudes. Le premier duc qui, en Bretagne, avec une longue paix, donna aux arts un essor général, fut Jean V, mais qui était ce François Michart, maréchal-ferrant et serrurier auquel est due cette gerbe magnifique, Notre-Dame du Paradis, avec ses fleurs de granit, sa flèche dardée comme un iris, dans le poudroiement des lichens jaunes comme du pollen? Les sociétés populaires et les mutuelles improvisent des collectes, ouvrent des souscriptions pour fêter un camarade ou assurer l'ordonnance de ses funérailles. Un artisan du XVIe siècle déploya son activité pour entrainer ses humbles compagnons dans le courant d'émulation qui devait aboutir à l'éclosion de ce chef-d'oeuvre d'art et de foi qui mérite bien son nom. La tour, extraordinaire de puissance, supporte une flècbe de soixante-douze mètres de hauteur qu'accostent deux flèches plus petites. Le porche, ménagé sous le clocher, est sobrement, mais harmonieusement décoré, et le chevet est une merveille de grâce et d'équilibre.

De l'artisan qui, dans l'odeur de la corne roussie, embellissait noblement sa destinée, par son respect des choses divines, aux usines tentaculaires qui animent sombrement le Hennebont moderne, quel chemin, quel éloignement, comme de cet estuaire, où Mme de Sévigné, en revenant de Lorient, trouvait encore la mer, au Blavet canalisé.

Si Jean le Roux avait assuré à la vieille ville une puissance militaire, sa femme, Blanche de Champagne, la fillè du poète Thibault, l'avait dotée d'une abbaye, placée sous l'obédience de Cîteaux et qui portait le joli nom d'abbaye de la Joie. Le catalogue des abbesses rassemble dans ses parchemins enluminés les plus beaux noms et les plus beaux blasons de la noblesse bretonne. Il en restait la maison abbatiale du XVIIe, la porterie, une vieille fontaine avec cuve, mais le siècle a réservé l'asile de prières à une autre destination et à une autre gloire. Il abrite l'étrange cavalerie, mi-civile mi-militaire, de ces palefreniers qui, obéissant à la trompette, mènent leur orgueil de centaures en formations compliquées et périlleuses.

C'était au-dessus de Hennebont, à Lochrist, que la route traditionnelle devait traverser le Blavet, sur le pont gothique qui a gardé ses cinq arches. Elle gagne le villa;ge du Temple, en Inzinzac, et, peu après Saint-Sulau, retrouvait à un carrefour celle de Pont-Scorff. Passé Saint-Séverin, et sa chapelle, on s'engageait dans la magnitique descente qui mène à Pont-Scorff, culbuté danns une vallée tournante. Du fief des Rohan-Guémené, il y reste la maison de justice, un charmant hôtel Renaissapce. Les chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem tenaient là l'hôpital mentionné dans la charte de 1160. Une rue porte encore le nom de rue du Temple si la chapelle Saint-Jean, dépendance de l'hôpital, a été transformée en magasin. De forme rectangulaire, le plan primitif subsiste: une nef et deux bas-côtés, avec leurs trois travées et leurs colonnes cylindriques, mais le portail et le porche ménagés sur la face nord ont disparu. Des animaux et des personnages animent toujours les sablières, à l'intérieur.

La paroisse de Cléguer investissait jadis Pont-Scorff. L'hôpital en relevait comme cette autre survivance templière, le village du Temple par où l'on passe avant d'atteindre, à l'embranchement de la route de Gestel, la chapelle Saint-Servais, riche en vieilles statues, et, aux abords du village de Saint-Pierre, la frontière du Finistère.

On laisse, au nord, le bourg de Rédéné, la Fougeraie, et c'est au déclin de la belle saison, l'odeur un peu triste de la fougère qui s'impose dans ces campagnes, avec le souvenir de Brizeux, le doux poète, qui passa son enfance entre l'Ellé et le Scorff. Il apprit le rudiment, en effet, au presbytère d'Arzano, dont l'abbé Le Niv était recteur. Entre deux explications des Géorgiques, il courait par ces prés où l'on a fauché les regains, pataugeait et retourna.it les pierres sous ces ponts qui enjambent des ruisseaux dorés, meublait sa mémoire de ces lieux dits qui donnent une sonorité à ses vers un peu ternes. Quand il balançait l'encensoir, aux vêpres paroissiales, il regardait s'agenouiller, à son banc, une fillette de trois ans plus âgée que lui, mais qui allait devenir sa Béatrice, Marie-Renée Pellant,

Cette grappe du Scorff, cette fleur de blé noir...

Encore un gîte d'étape, l'Hôpital, qui correspond peut-être à l'ancien Saint-Jean-du-Lannou. A Roscaquen, sur la lande où la tradition veut qu'en I344 Louis d'Espagne, et ses soldats français, eussent été vaincus par les tenants de Montfort, que conduisait Gauthier de Mauny, un très grand dolmen est resté debout.

On passetout près du château de Keransquer où naquit Théodore Hersart de la Villemarqué, le plus génial des bardes, sinon le folkloristeleplusdiscipliné. On polémiquera inutilement sur le Barzaz-Breiz. On peut traiter son auteur de Mac Pherson, lui reprocher de n'avoir pas été un copiste, mais un créateur. Son talent, qu'il mit au service de la Bretagne, fut tel que George Sand, après avoir lu ce recueil exaltant, ne se retint pas d'écrire que « tout homme devrait se découvrir devant un Breton ». Il reste aux détracteurs du grand poète à mériter de pareils coups de chapeau.

Il repose, dans le cimetière Saint-Davy, non loin du plus célèbre des sonneurs de biniou, Mathurin Furic, dit Matilin an Dall, que sa renommée, au temps de la Closerie des Genêts, porta jusqu'à Paris.

La chapelle Saint-Davy est dédiée à un authentique saint gallois mais, au XVIIe siècle, elle fut brusquement concédée au saint romain A vitus. Dans sa nef gothique, on ne manquera pas de remarquer, parmi de vieilles statues émouvantes, un saint Antoine dont le compagnon porte au cou une clochette. C'est que non loin de là, en « terre de Vannes », car l'Ellé et la Laïta séparaient jadis la Cornouaille de l'ancien diocèse de Vannes, une commanderie de Malte, où s'élevait la chapelle Saint-Jean-de-Cramon, avait le droit de laisser vaguer ses porcs, par la ville de Quimperlé, à la recherche de leur nourriture, pourvu qu'ils eussent une clochette au cou.

De la terrasse, ombragée d'arbres, qui précède Saint-Davy, quelle vue sur les hauts et les bas où s'équilibra la ville de Quimperlé, du clocher de Notre-Dame de l'Assomption aux lisières de la forêt de Carnoët!

Sur ses côtes et dans sa vallée, Quimperlé avait groupé tant de sanctuaires que la capitale de ce pays si verdoyant et si juteux qu'on ne peut que le nommer, de guide en guide, l'Arcadie de la Bretagne, représentait une halte importante pour les pèlerins.

La voie de Dariorigum à Aquilonia, les deux Locmaria, Locmariaker: et Locmaria-Quimper, franchissait le gué de l'Ellé à Lovignon et par la rue des Chambriers se dirigeait vers Mellac et le Trévoux. En traversant le plateau, elle laissait à gauche, le castrum d'Anaurot. Ce fut le noyau de Quimperlé à qui les moines, rassemblés par le prince breton Gunthiern, donnèrent une désignation topographique justifiée par la rencontre de l'Isole et de l'Ellé.

C'est à Quimperlé que saint Gouesnou, évêque de Léon, aurait trouvé un trépas malheureux. Venu visiter, avec son frère Majean, l'église que faisait élever l'abbé Corbasius, il se permit de critiquer le plan général de l'édifice. Le maître-d'oeuvre l'entendait, et, furieux, il laissa choir de son échafaudage un lourd marteau de maçon qui défonça le crâne de saint Gouesnou.

Ce fut le I4 septembre I029 qu'Alain Canhiart, guéri à la suite d'un voeu à la Sainte Croix, reconstruisit le monastère détruit par les Normands. L'abbaye Sainte-Croix allait devenir l'une des plus puissantes de Bretagne, étendant ses droits jusqu'en Porzay, jusqu'en Poher et jusqu'au pays nantais, et ne manquant pas d'exciter la jalousie des abbés de Redon.

Au XIIIe, la ville close formera un parallélogramme depuis les douves du château, l'actuelle rue du Château, jusqu'au confiuent, avec la porte Haëlcun qui ouvrait sur le port, la porte de Rosmadec, la porte du Gorréker, an Plomen, et celle de la Terre-de-Vannes.

C'est sur la montagne où s'élève l'église Notre-Dame de l'Assomption, ancienne paroisse Saint-Michel, que se trouvait l'oppidum primitif. Le clocher, dans le goût anglo-normand, avec sa double galerie et ses quatre clochetons, accuse l'escarpement de la ville haute où une archivolte relie encore l'église à une vieille maison du xve, contemporainedu choeur et des collatéraux. Cet arc et celui qui le double, de l'autre côté du choeur, donnaient ouverture sur la ville basse et étaient jadis munis de portes que l'on fermait le soir. La Grand-Rue avec ses échoppes à étal de pierre, ses boiseries à grotesques, conduisait à ce Quimperlé qui s'enchante éternellement du ruissellement de ses eaux et de ses verdures. L'Isole coule, entre deux rangées de maisons, jusqu'au Pont-Salé, où dans les temps de bonhomie, les chasse-marées qui avaient revendu du poisson devaient faire la culbute, devant l'abbé, dans la rivière.

Jadis un fouillis de ruelles couvrait l'emplacement des halles et conduisait à l'église Sainte-Croix.

Quand, le 21 mars 1861, la tour de l'église Sainte-Croix de Quimperlé s'effondra, elle mutila gravement un sanctuaire qui restait un des chefs-d'oeuvre de l'art religieux du XIe siècle.

Benoît, fils d'Alain Canhiart, avait été élu abbé de Quimperlé en 1066. Treize ans plus tard, il devait être nommé évêque de Nantes, mais il conserva une telle prédilection pour le monastère posé au confluent des vallées où se jojgnent l'Isole et l'Ellé qu'il revint y passer les dernières années de sa vie. En 1083, il exhuma le corps du premier abbé, saint Gurloës, ancien prieur claustral de Redon; en même temps il rebâtissait l'église.

Le frère de Benoît, Hoël, qu'on surnomma le Haut, avait porté à son faîte la gloire de la maison de Cornouaille en accédant au trône ducal. Comme tous les princes fastueux, il aimait et protégeait les arts. La Sainte-Croix de Quimperlé n'avait-elle pas été dressée par ses ancêtres, la dynastie des évêques de Cornouaille? Lui qui, pour relier les manuscrits de la cathédrale de Quimper, faisait réserver les peaux des cerfs que l'on abattait dans ses forêts de Quiberon, dut aider Benoît à élever un monument qui perpétuerait la munificence familiale.

Alors qu'elle n'avait été que fâcheusement retouchée par le XVe siècle, Sainte-Croix restait un des exemplaires les plus marquants de l'art inspiré par les premières croisades. On a parlé de Ségovie, on a parlé du Saint-Sépulcre, et aussi de lachapelle d'Aix où repose Charlemagne, le grand restaurateur de la chrétienté après le tumulte des invasions. Sous son toit conique, elle représente une croix dont quatre chapelles formeraient les branches. C'est une église en rotonde avec un bas-côté circulaire sur lequel donnent deux absidioles en cul-defour et une abside plus profonde. Le maître-autel domine, sur un podium, au centre du cercle. C'est sur le même plan que fut bâtie la petite église de Lanleff, en Goëlo, dans laquelle tant d'archéologues se sont égarés comme dans un labyrinthe.

Sous l'autel et sous le choeur de Sainte-Croix de Quimperlé, la crypte du XIe siècle est restée intacte, avec ses trois nefs, ses quatre travées, ses fenêtres à meurtrières, et ses chapiteaux d'inspiration nettement byzantine, comme ceux qui, après l'accident de 1861, ont été déposés au musée breton de Quimper.

Elle avait manifestement un grand air de famille avec la crypte, plus large, de la cathédrale de Nantes que Benoît de Cornouaille, sous son pontificat, fit reconstruire, en 1096, et où les bases des colonnes paraissent copiées sur celles de Quimperlé. Les chapiteaux qui ont subsisté reproduisent les motifs familiers à l'école de la Loire, dont l'influence fut manifeste, à l'époque romane, sur l'architecture bretonne.

Devant l'autel, est placé le tombeau de l'abbé Gurloës que le dialecte local appelait Urlou et que l'on priait pour les rhumatismes et les céphalées. On passait sous le tombeau au chevet duquel est ménagée une ouverture plus petite, une lunette, où l'on engageait le crâne douloureux.

En suivant la vieille route, qui vient d'Hennebont, et le quartier de Lovignon, on franchit le Pont-Fleuri. Ellé et Laïta séparaient l'ancien diocèse de Vannes de la Cornouaille. La division départementale n'a pas changé les moeurs: dialectes et costumes varient d'une rive à l'autre. On longe les bâtiments de l'abbaye, reconstruite en 1668 par l'abbé commendataire Guillaume Charrier, qui donna l'hospitalité au janséniste Lancelot, chassé de Port-Royal. L'Isole et l'Ellé, devant l'abbatiale transformée en hôtellerie, s'unissent pour former la Laïta. Celle-ci prend une vivacité de flot et il en émane une fraîcheur délicieuse, à laquelle les verdures foisonnantes donnent leur arome. Au-delà de Sainte-Croix, les ruines à jour de Saint-Colomban imposent au ciel leur filigrane, porte romane et fenêtre médiévale. En face, un double perron marque l'entrée de l'ancien auditoire. Les jardins des vieux logis trempent dans les rivières dont le nom est si troublant, comme des noms de fées.

On prend la route de Quimperlé à Pont-Aven jusqu'à l'inévitable Madeleine. D'un bord, des maçonneries du XVe siècle; de l'autre, la chapelle, avec une nef unique. Un bas-côté flanque le choeur, au. midi. De part et d'autre du maître-autel, deux petits autels de pierre s'adossent aux pilastres d'une arcade transversale, au bout de la nef. Un saint Roch, en habit de pèlerin, y était honoré.

Nous sommes au haut d'une côte, et un kilomètre plus loin nous rencontrons la chapelle de Saint-Jean du Pont-Men, désignée, en 1160, sous le nom de Hospitalis super Beloen. Elle est située, en effet, sur le cours supérieur du Belon qui, entre des promontoires chargés de pins, s'élargira aux approches de la mer, répartissant, dans ses replis, les parcs à huîtres.

La chapelle est désaffectée, et le lierre couvre son petit clocher. Une arcade romane coupe en deux parties la nef, dont l'abside est éclairée, derrière le fruste autel de pierre, par une meurtrière en plein cintre. Le long des murs, règne un banc de granit.

A trois kilomètres et demi, l'église du Trévoux, dont la porte, sous le porche méridional, est ornée d'un panneau sculpté figurant le baptême de Notre-Seigneur, et qui contient la statue gothique de Notre-Dame de Kergornec : une Vierge, couronnée, allaitant l'Enfant Jésus.

Entre Le Trévoux. et Le Moustoir, on passe devant l'Église-Blanche, dédiée à Notre-Dame. des Neiges. Dans ce pays clément, sans grand relief et sans grand caractère, mais couvert de tant de tièdes vergers, on pense plutôt à des chutes de fleurs de pommier, qu'au sourd rayonnement des jours de neige.

Les Templiers ont laissé leur nom, en Kernével, à la motte féodale sur laquelle se levait leur monastère, Kastel ar Menec'h ru, et, à huit, cents mètres de l'Aven, à la chapelle de Saint-Maurice-du-Moustoir.

Saint Maurice. fut le premier abbé de Carnoët.

A l'ouest, un beau portail, encadrant deux portes jumelles et un tympa.n avec niche centrale, autour duquel des anges tiennent des banderoles; le clocher gothique est flanqué d'une tourelle d'escalier octogonale. De curieux petits saints, à l'intérieur, dont un saint Éloi, des tenailles à la main droite, une épée dans ]a gauche, et un saint Théleau, à cheval sur son cerf, en chape et mitre, la crosse au poing.

La route venant du Trévoux et de Bannalec nous amène au carrefour de la Trinité, en Melgven.

Une belle chapelle, en pierres de taille, admirablement dessinée. A mi-hauteur de la façade ouest court une frise de feuillages, et entre les deux contreforts, s'épanouit la merveilleuse ornementation du portail Deux pilastres à pinacles aigus, une accolade et un gâble à crossettes végétales, trois rangs de moulures prismatiques et trois rangs de feuilles de vigne et de feuilles de chardon en guirlandes encadrent les deux portes géminées. Celles-ci sont serties des mêmes moulures et des mêmes sculptures. La colonne en spirale qui les sépare sert de support au groupe de la Trinité qui occupe le tympan et qu'accompagnent deux anges tenant des phylactères, comme à Saint-Maurice-du-Moustoir. A noter que les chapelles templières étaient souvent consacrées à la Trinité.

A la naissance du plafond en bois de la nef, des anges déroulent d'ailleurs, sur la sablière, des banderoles qui reproduisent les versets du Te Deum dédiés à la Trinité.

La nef largement éclairée est bordée de deux bas-côtés de cinq travées. L'abside, à pans coupés, percée de fenêtres fiamboyanmtes, rehaussée de contreforts à pinacles et de rampants hérissés de crossettes, est contournée par une corniche feuillagée.

Au sud-ouest de la chapelle, une belle margelle carrée, en pierres de taille, avec bancs latéraux et échaliers, encadre une fontaine d'eau claire, restée sous le vocable de saint Laurent, à qui était dédiée la chapelle antérieure à celle de la Trinité. C'était pour permettre entre ces deux sanctuaires le passage d'une voie charretière que l'angle sud-ouest de la chapelle de la Trinité présente un long pan coupé.

Si l'on eût suivi la grand-route moderne de Bannalec à Rosporden, on eût passé près de la chapelle de la Véronique, ravissante sous les grands arbres qui la pressent et cèlent sort clocher dans leurs frondaisons. Ses vitraux sont un miracle de la couleur. Clohars et ses hautes futaies, la plus grande forêt du Finistère, est toute voisine. L'arbre, au reste, rayonne jusqu'à la mer, imprégnant, dirait-on,le ciel de son vert enchantement. Véronique, et les miracles de la Sainte-Face opérés par Véronique sur l'empereur Vespasien nous reportent en pleine poésie celtique, avec la queste du Graal, et la fuite de Joseph d'Arimathie en Ecosse, et le cycle arthurien. Le jour du pardon qui est celui de l'Ascension, les jeunes gens ravissent aux filles leur mouchoir, et ne le rendent que contre les menues privautés, la petite oie de ces coquettes et chastes Véroniques.

Les villages qui avoisinent la Trinité ont gardé leur aspect ancien, jusqu'au manoir de Coat-Four, dont le haut pignon nord est si joliment orné d'une porte et d'une fenêtre ogivales, au rez-dechaussée, et d'une ouverture à deux baie:; trilobées, à l'étage supérieur. Rien ne semble avoir changé, ici, depuis le passage des derniers pèlerins du Tro-Breiz sur cette route, si large, si droite, mais coupée de mares à la pelure végétale, La chaussée a gardé son pavé de petites pierres irrégulières, qui fait penser à la description que donnait Lobineau du chemin des Sept-Saints.

Dans ces bas-fonds, avant de traverser la voie ferrée et la route de Rosporden à Concarneau, on pointera encore un lieu dit l'Hôpital. L'endroit est sauvage et délaissé, et un hameau garde, trois kilomètres plus loin, sa dénomination de Bourg-Neuf, alors que tous les logis accusent le caractère de la Renaissance.

Quatre hauts degrés qui supportent un piédestal rond, et une croix de granit, avec, ce qui dénonce son xve siècle, une statue de la Vierge reléguée au revers de la sculpture: nous arrivons à un des lieux qui authentifient le plus sûrement l'itinéraire du pèlerinage : Loc-Maria-an-Hent, en Saint-Yvi. Il y a d'abord ce qualificatif: « du chemin »; il y a surtout cette fontaine des Sept-Saints, près d'une chapelle romane, remaniée au XVIe siècle; et dont le clocher, composé d'une chambre de cloches à deux baies, est surmonté d'une flèche très fine. A l'abside étaient appuyés trois autels, et quatre autres s'adossaient aux piliers. La table du septième sert maintenant de dalle à l'entrée du sanctuaire.

Sur l'autel du bas-côté méridional, un bas-relief d'une très médiocre exécution représente sainte Perpétue et ses sept enfants martyrs, matérialisant ici encore l'absurde parti pris qui entendit substituer, dans la dévotion populaire, le culte de martyrs romains à celui des vieux évêques bretons.

Parmi les saints locaux qui ont tenu bon contre les exclusives gallicanes ou vaticanes, on retrouve, dans la chapelle de Loc-Maria-an-Hent, un saint Diboan le Tu-pe-tu du fatalisme breton avec un saint Isidore qui représente un document de premier ordre pour l'histoire du costume local.

Dans l'angle nord-ouest du cimetière, un délicat ossuaire, qui a sa réplique au bourg de Saint-Yvi, est composé de quatre arcades ogivales subtrilobées, comme celui du cloître des Carmes de Pont-l'Abbé, transporté au séminaire de Quimper.

Ce n'est pas une grand-route à la largeur normale et banale, mais une allée processionnaire, où les ajoncs font parure, qu'ouvre la voie du Tro-Breiz à travers le pays de Fouesnant, jusqu'au ruisselet de Pontouar, et au village de Kervellec.

Dans le clair automne, dans· ces jours où l'air et le soleilretrouvent de la force, il fait bon traverser le pays de Fouesnant, au plein de campagnes si légèrement ondulées que les tertres y apparaissent juxtaposés comme les meules, derrière les fermes. La contrée se révèle avec la facilité de la figue cédant à la violence de la saison torride. Bonheur encore brûlant, et déjà si calme; les courtils les plus humbles débordent de toutes les fleurs. On flâne, par les villages, broutant la graminée, croquant le fruit, comme dans les jardins des vieilles chansons bretonnes, avec les buissons de lauriers, les roses de la mariée, les passeroses en quenouilles. Le verger est si serré qu'il recouvre les clos, comme une charmille, et le pommier ombrage les routes, y faisant rouler ses charges de faïence vernie. Au soir et au matin, émane de la prairie cette bonne odeur qui mêle le miel à l'absinthe. En octobre, les regains sont aussi drus qu'enjuin, et l'essence dela menthe sauvage s'exaspère au soleil comme à la pluie, avec l'arome douceâtre de la pomme mouillée et la maturité noire de la ronce.

Si les femmes se parent toujours des velours les plus somptueux, des collerettes les plus largement épanouies et les plus finement tuyautées, des coiffes les plus fleuries et les plus élégamment ailées, les hommes ont abandonné le costume blanc, dont la chupen, au milieu du dos, portait un ostensoir éblouissant. Leur vêture uniformément noire a fait donner au clan l'épithète de duig, les petits noirs, mais leur teint fleuri, la jovialité de leurs allures et de leurs propos les maintiennent en accord avec une contrée plantureuse et saine, où la toponymie s'ordonne avec l'accent des jolies filles qui dansent dans les sous-bois.

A la cote II3, nous sommes sur un des points culminants de la région, et au fond de l'horizon, par-delà les collines qui bordent la rive droite de l'Odet, on découvre les ondulations successives de Coray, de Briec et de Locronan. Le plateau s'appelle évidemment Bellevue.

Par un bois de sapins, on regagne la grand-route qui va continuer de se déployer, jusqu'à Ergué-Armel, sur une étendue égale et harmonieuse, sans ressauts, sans montées ni descentes. Le chemin s'est fait seulement plus étroit vers le Guélen.

Au bord de la route de Quimper à Rosporden, les templiers et les chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem avaient disposé la chapelle et l'hôpital de Sainte-Anne de Guélen. Avant l'arrivée à Quimper, les pèlerins, sur le territoire d'Ergué-Armel, pouvaient prendre là leur dernière nuit de repos. Il ne reste rien de la chapelle, dont les matériaux, il y a cinquante ans, ont servi à la construction d'une maison voisine. On a sauvé, heureusement, la porte et la fenêtre gothiques qui sont conservées au musée lapidaire de Quimper. La porte présente des caractères du XIIIe siècle, comme l'empattement sur lequel les tores finement ciselés des voussures reposent pour s'asseoir sur les tailloirs, et que l'on retrouve dans les arcades de la nef et du choeur de Pont-Croix.

La chapelle, assez exiguë, communiquait à l'ouest, par une petite porte, à une maison attenante, un simple rez-de-chaussée long et bas, lui-même prolongé par une autre bâtisse, dans le mur nord de laquelle était ménagée une petite armoire dont un meneau en croix séparait les quatre compartiments.

Dans le pignon de cette demeure, une porte en arcade, d'assez grandes proportions, ouvre sur un passage que bornait un troisième bâtiment, couvert en chaume. La muraille nord en est aveugle, mais le pignon oriental est percé d'une porte à arc surbaissé, mouluré, qu'accompagne une petite meurtrière, d'une fenêtre à accolades dans les linteaux, au premier étage, et d'une fenêtre carrée à chanfrein pour éclairer le grenier.

Au midi, deux portes à linteau mouluré en accolade, deux petites fenêtres au rez-de-chaussée et deux autres à l'étage, avec dix-neuf boulins carrés pour les pigeons.

Un puits à la margelle moulurée, des bâtiments de service à l'architecture ornée montrent que l'établissement, au XVIe siècle, avait encore de l'importance.

A trois kilomètres, on passe un peu au nord de l'église d'Ergué-Armel, et nous quitterons le plateau par une pente abrupte pour nous engager dans le vallon qui sépare deux de ces collines dont est si harmonieusement pressé Quimper. L'ancienne chapelle Saint-Julien a laissé son nom au quartier que desservent la rue Neuve prolongée et la rue du Pont-Firmin, d'où, sous sa voûte de frondaisons traînantes, on prend l'Odet d'une enfilée, dans sa traversée de la ville. De la chapelle de saint Primel, l'ermite qui avait fait amitié avec saint Corentin, il ne reste plus trace, mais la rue des Regaires a gardé son nom, que nous longerons pour franchir la porte d'enceinte de la ville, encore accostée d'une tour.

Et c'est par la rue du Frout que nous atteindrons la cathédrale.

Peut-être pourrions-nous, pour prolonger cette dernière étape, aller passer un soir à Locmaria?

Où songer avec plus de certitude et de sérénité à la durée de l'histoire bretonne que dans ce faubourg de la capitale touristique de la Cornouaille? Dans l'ombre de l'acropole boisée qu'est le Mont-Frugy, il conserve les plus lointains souvenirs de l'Armorique gallo-romaine. Du pied de la grosse colline si bien exposée à toutes les orientations de la rose des vents, douze voies divergeaient, en rayons d'étoile, dans tous les azimuts de la péninsule. L'arbre et la broussaille ont recouvert la station romaine, mais de l'évêché gallo-romain de Corisopitum, édifié sur la civitas Aquilonia, et de l'évêché breton dont saint Corentin fut le premier pasteur, il reste Locmaria, ce prieuré, si robuste, si calme, si charmant dans sa quiétude d'ancienne petite ville, quasi oubliée en marge de la grande.

Un texte du XIe siècle désigne l'église de Locmaria sous le nom de Sancta Maria in Aquilonia civitate. Adrien de Valois rapporte, en outre, qu'il a vu d'anciens martyrologes où saint Corentin était qualifié d'episcopus civitatis Aquilae. L'actuel faubourg de Locmaria fut le noyau de Quimper, capitale du comté de Cornouaille et chef-lieu du diocèse, qui, jusqu'en 1789, avait gardé les limites de ce diocèse de Quimper (diocesis Corisopitensis) calqué sur une des grandes cités gallo-romaines de Bretagne.

Et c'est ce faubourg, calme comme un bourg avec ses rues étroites, le voisinage de l'eau et des jardins, sa place bordée de bâtiments conventuels, qui nous redonne, dans les prestiges du soir, l'impression la plus saisissante du visage qu'avait la Bretagne au temps où l'on recommença à bâtir dans un monde prêt à s'équiper pour la croisade.

Simple et vigoureuse, à la taille d'un peuple attaché à sa terre, telle nous apparaît l'église de Locmaria, la doyenne de nos églises. puisqu'on a pu dater sa nef avec certitude des premières années du XIe. siècle et que les matériaux ont été manifestement prélevés sut des ruines romanes.

Le petit appareil des murs rappelle que les maçons n'avaient pas perdu les habitudes de l'époque carolingienne. Dans sa force trapue, volontairement sobre, l'intérieur ne manque pas de majesté. Par six arcades en plein cintre deux bas-côtés communiquent avec le vaisseau central: le plein cintre sans moulure, aux arêtes vives, porté sur un seul claveau et monté sur des piles de plan rectangulaire. Contre celles-ci, sur la plus grande surface, sont accolés de larges pilastres. Autre rappel carolingien, les assises des piles, hautes et basses, alternent régulièrement. Au-dessus des arcades, d'étroites fenêtres s'ébrasent vers l'intérieur, éclairant les parties hautes de l' édifice qui, comme toutes les églises du temps, n'était pas voûté. La nef est traversée par une poutre qui porte un Christ en robe. Le clocher central, qui a conservé, sur ses côtés est et sud, ses fenêtres géminées, repose sur le carré du transept.

Dans les vingt premières années du XIe siècle, une abbaye s'était constituée autour de ce robuste foyer de prières, grâce à la munificence de l'évêque Benoît. Un curieux homme, dont la chronique privée éclaire pour nous les procès-verbaux des conciles. Il avait succédé à son père, Budic de Châteaulin, comme comte de Cornouaille, après avoir reçu les ordres sacrés. Grand féodal, il était resté homme d'église, et quand il monta sur le siège épiscopal de Quimper, il était marié. Sa femme Guigoëdon lui laissa cinq enfants, dont l'un, Orscand, hérita, en l022, l'évêché pendant que son frère Alain recevait le comté. Laïc et prélat, ils étaient tous deux en puissance de femme, et leurs mésaventures suffiraient à justifier tous les arguments qui militent en faveur du célibat des prêtres. Seigneur temporel, le comte avait le pas sur son frère, et l'épouse de celui-ci, Onwen, ne cachait pas son ·.dépit, si bien que se considérant à la cathédrale comme chez elle t;.lle refusa, un jour, d'y faire la révérence devant sa belle-soeur Judith Epousant la rancune de sa femme, Alain enleva à son frère la jouissance du temporel de cette abbaye de Locmaria que leur père avait fondée.

Il avait la tête près du bonnet, cet Alain, que ses prouesses militaires firent surnommer Caignart, autant dire guerrier valeureux. Il fallut néanmoins que les femmes s'en mêlassent pour qu'il prît une mesure aussi vexatoire à l'endroit des gens d'Église, lui qui devait relever de ses décombres l'abbayede Sainte-Croix de Quimperlé.

Par la crosse et par l'épée, cette descendance épiscopale, ces fils d'évêque, se taillèrent une belle route dans le monde.

Hoël, fils d'Alain Caignart, devint duc de Bretagne, et en 1124, un de ses successeurs, le duc Conan III, cédait le monastère double de Locmaria à l'abbaye de Saint-Sulpice, récemment fondée au diocèse de Rennes.

Les évêques de Cornouaille prenaient le titre de comte et jouissaient dans leur regaire de tous les droits du seigneur temporel. Bertrand de Rosmadec, en plaçant ses armes, entre les deux tours de la cathédrale, juste au-dessus des armes de Bretagne, témoignait par la crosse et la mitre de son pouvoir spirituel, mais affirmait par le casque son pouvoir temporel. Maître absolu dans sa seigneurie, il rendait la justice, prélevait les impôts, maintenait l'ordre. L'étalon en pierre de sa mesure particulière était déposé sous le grand portail de la cathédrale. Si le quartier extérieur de la Terre-au-Duc était placé sous la juridiction directe du souverain breton qui y avait ses fourches patibulaires, l'évêque régnait du bourg de Coray à Kerfeunteun, Penhars, Ergué, et il dressait ses pôts de justice sur le tertre Saint-Denis.

La maison des champs du prélat était à Lanniron dont Le Nôtre devait redessiner les jardins. C'est de là qu'il partait pour faire son entrée solennelle dans la ville le jour de son intronisation. Mais la coutume, malgré tout son apparat féodal, le rappelait ce jour-là au sentiment de sa destinée religieuse.

Avant même que Robert d'Arbrissel instituât la règle de Fontevrault, il y avait à Locmaria comme à Lannennock en Ploemeur un monastère double. Mais en 1120, les religieuses émigrèrent au prieuré de Saint-Sulpice-la-Forêt fondé seulement depuis huit ans, et Locmaria, d'abbaye, devint prieuré. La veille de son sacre, l'évêque nommé de Quimper devait se présenter à la prieure de Locmaria en habit de pèlerin. L'abbesse lui ouvrait la porte, lui ôtait son manteau et ses gants qui allaient devenir sa propriété.

Ensuite, elle lui lavait la tête avant de le conduire au châlit, recouvert de paille fraîche, sur lequel il passerait la nuit. Avant de se retirer, elle s'assurait que le pain de seigle et la cruche d'eau, symboles du jeûne et de l'abstinence, n'avaient pas été oubliés.

Le lendemain matin, et en reconnaissance de l'hospitalité qu'il avait reçue, l'évêque laissait encore à la prieure sa valise, sa « bougette ».

Dehors, la cohue, le hourvari des acclamations étourdissaient le pieux homme après le silence rigoureux de la vigile. Les seigneurs et les ecclésiastiques entouraient le cheval d'armes sur lequel il montait. Au Pénity, sous le même vieux chêne, le prélat faisait halte et s'asseyait pour attendre le chapitre qui, en procession, avec les prêtres, les chantres et les fidèles, venait acclamer son nouvel évêque. Le sire de Guengat ôtait les éperons et les bottes du comte qui redevenait pêcheur d'hommes et acceptait, contre son manteau militaire, une baguette blanche du seigneur du Châtel.

Au bas de la montagne, il y avait une maisonnette. L'évêque y revêtait les ornements pontificaux et s'asseyait dans la chaire épiscopale qu'avait amenée le chapitre. Quatre gentilshommes, le vicomte du Faou, les seigneurs de Nevez, de Ploeuc et de Guengat la chargeaient sur leurs épaules pendant que l'assistance entonnait le Te Deum.

A la porte de ville, l'évêque jurait de défendre ses sujets, leurs droits et leurs libertés. Puis dans le tumulte des cloches et de l'orgue, balancé sur les épaules de ses porteurs de chaise, il faisait le tour du choeur de sa cathédrale.

Il ne manquait pas de s'agenouiller devant cet autel des Sept-Saints, adossé au pilier du bas du choeur, du côté de l'épître, d'où nous avons pris le départ pour une remontée à travers la mémoire catholique d'un pays que l'on a si justement nommé la Terre des Saints.

Fidèles au rite, nous revenons, à l'heure de l'action de grâces, dans la cathédrale de saint Corentin, auquel le P. Julien Maunoir s'adressait avec tant de piété : « Ç'a été à la faveur de la langue armorique, ô grand saint, que vous avez planté la foi dans la Cornouaille... Il y a treize siècles qu'aucune espèce d'infidélité n'a souillé la langue qui vous a servi d'organe pour prêcher Jésus-Christ et il est à naître qui ait vu un Breton bretonnant prêcher autre religion que la catholique. ».

C'était au XVIIe siècle, alors que le culte des Sept-Saints était tombé en désuétude.

Entreprenant, en 1947, d'arpenter le trajet circulaire qui représentait le chemin de l'Alliance entre notre race et ses pères spirituels, n'aurons-nous cédé qu'à la curiosité de l'archéologue et de l'amateur de paysages?

Qui a accompli le Tro-Breiz a droit, nous rappelle la sagesse bretonne, à sa part de Paradis.

Un Paradis que l'on sent si proche, en ces soirs abrégés de l'arrière-saison, quand la fumée d'un feu de fanes monte avec une rigueur de colonne, et quand au ciel s'amassent des nuages caillebottés comme les dahlias et les chrysanthèmes, d'où s'épanche, amère, obstinée, l'odeur des suprêmes floraisons.

A la place même où les voyageurs des âges fidèles déposaient leurs bourdons, puissions-nous retrouver leur verbosité naïve. Leurs récits et leur émerveillement se résumaient par des invocations si prenantes: « La grâce à Nostre-Seigneur Jesus-Crist, qui soit garde de tous chrestiens qui font et feront ce dit saint voïage et qui l'ont fait et nous doint à tous Paradis. Amen. »

Car les voeux de prêtres éminents comme MM. les chanoines Uguen et Le Roy s'accompliront, et le Tro-Breiz fera refleurir dans les générations futures ce sentiment ineffable de la fraternité qui animait les missionnaires de la foi bretonne.

1946-1947

TABLE DES MATIÈRES

Pages
LES SEPT-SAINTS DE BRETAGNE . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
r. De Quimper à Saint-Pol-de-Léon . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
II. De Saint-Pol-de-Léon à. Tréguier . . . . . . . . . . . . . . . . . 63
III. De Tréguier à. Saint-Brieuc . . . . . . . . . . . . . . . . . 83
IV. De Saint-Brieuc à Saint-Malo . . . . . . . . . . . . . . . . . 107
V. De Saint-Malo à Dol . . . . . . . . . . . . . . . . . I43
VI. De Dol à Vannes . . . . . . . . . . . . . . . . . 163
VII. De Vannes à Quimper . . . . . . . . . . . . . . . . . 217

ACHEVÉ D'IMPRIMER
LE 6 JUILLET I950 PAR L'IMPRIMERIE FLOCH
A MAYENNE (FRANCE)
DEPOT LEGAL : 3e TRIMESTRE I950 (1412)

TRO-BREIZ
Le Pèlerinage aux Sept Saints de Bretagne

FLORIAN LE ROY
Photographies de Jos Le Doaré
Librairie Celtique
Paris
1950

 

Contact : Y. Autret - Email: yvon.autret@tro.bzh